La Quête d'Ombreuse

HRP/Une histoire commencée il y a un certain temps déjà, bien avant la fondation du Clan d'Ombreuse, donc pour le moment ne cherchez pas de rapport ./HRP

Prologue.

Une silhouette
filait, silencieuse, sur les chemins. Le vent soufflait avec violence
sur les plaines, arrachant les nuages à leur repos stagnant. Il arracha
une mèche de cheveux rouges à une capuche. Elle s’agita un instant,
comme secouée de spasmes, mais aussitôt une main pâle la rattrapa et la
contraint à la captivité. Tasha était presque arrivée. Elle jeta un
regard dédaigneux sur les ruines de ce qui devait être en son temps la
Foire du Trool. Là-bas, quelques tofus se cachaient sous une caravane.
Certains affichaient jadis de belles plumes teintes en orangé, mais les
intempéries avait rendu leur plumage terne et frisé. Tasha secoua la
tête avec une moue méprisante qui tordait sa bouche vermeille.
Pitoyable.
Soudain,
un bruit retendit sous ses pieds. Dans formidable bond, elle arracha
les dagues dissimulées dans ses bottes et les planta dans la chair
molle d’une peluche de bouftou. Tasha y donna un grand coup de pied et
observa un instant les plumes qui en constituaient le fourrage
s’envoler, ballottées par le vent.
Un bouftou en tofu… c’est vraiment la décadence…
Du
coin de l’œil, Tasha vit quelque chose briller non loin. D’instinct,
elle porta une main à sa cheville, où elle avait rangé ses armes. Mais
ce n’était là nulle lame, nul piège. Juste une montagne de jetons
échappés de la roulotte marchande. Un sourire se dessina sur le visage
de la Sram. S’il y avait des jetons, il y avait de l’or. Elle ne
s’était pas trompée. Elle se glissa dans la caravane par un trou dans
le toit et n’eu aucun mal à crocheter la serrure des derniers coffres à
n’avoir pas étés pillés. Elle eut une grimace. Il y avait peut-être de
l’or, mais c’était loin de ce à quoi on pouvait s’attendre d’après la
réputation de feu Léonzi Trool. Pas plus d’un millier de kamas ici.
Elle les glissa cependant dans une poche, pensant que ce serait
toujours utile. Elle inspecta rapidement les environs. A part quelques
larves étranges et le groupe de tofus qu’elle avait aperçu auparavant,
les lieux étaient déserts. Elle se faufila entre deux panneaux de bois
à demi écroulés et rejoignit les plaines de Cania. Le vent s’était un
peu calmé, mais il sifflait aux oreilles de la jeune femme comme une
promesse. Bientôt, la libertée…

Chapitre Premier. Episode I - Partir

La table s’effondra sous Lucy. Elle se leva, furieuse.

* Maintenant ça suffit, vous dégagez !
* C’est pas toi qui fait la loi, poupée…
* Je la fais tout de même mieux qu’un Iop écervelé ! Tu sors d’ici, et
si tu veux, tu va tabasser des Fecas à la taverne en face. Moi je ne
tolérerai pas des bastons ici.
* Allons, poupée, tu peux bien me laisser m’amuser un peu…
* Arrête de m’appeler poupée ! Je ne suis pas une poupée et encore
moins la tienne. Toi et ton copain vous sortez d’ici ou j’appelle les
gardes.

Le Iop dévisagea l’Ecaflip avec une expression de
dégoût. Il ne bougea pas. Lucy le défia du regard. Il ne broncha pas.
Lucy cilla. La rage la rendait fiévreuse et ses yeux étaient brûlants.
Le Iop eu un sourire narquois. Lucy finit par détourner la tête, se
mordant la lèvre.

* C’est bon, je te laisse… poupée.

Lucy
ne se retourna pas. Elle avait envie de hurler. Ce Iop jouait avec elle
à chaque fois qu’il venait boire un coup à sa taverne. Comme s’il était
supérieur à elle. Tout ça parce qu’il se faisait appeler « mercenaire
», alors qu’elle n’était qu’une « petite serveuse ». Lucy retint une
larme et s’accroupit. Fébrilement, elle dégagea des décombres de la
table un jeune Feca inconscient. C’était chaque fois la même chose. Ca
commençait par des insultes du côté du Iop. Il traitait les Fecas de
lâches, d’incapables. Et ceux qui ne se protégeaient pas, par
incompréhension la plupart du temps, ceux-là étaient rapidement mit
K.O. et jetés comme de vulgaires ordures. Mais le pire certainement,
c’était qu’elle n’avait pas le droit d’interdire l’entrée au
mercenaire. C’était un « bon client » d’après le patron. Alors tant
qu’il ne provoquait pas d’émeute, il était chez lui. Et il imposait sa
loi. Lucy serra les poings de toutes ses forces. Un jour, elle
partirait d’ici. Un jour, elle se vengerait. Mais elle savait que ses
vœux étaient vains, rien ne laissait présager une amélioration de sa
situation. Elle avait tout perdu au jeu. Elle en payait simplement le
prix.
Les temps étaient beaux, jadis, quand elle gagnait des
fortunes au poker. Elle arborait fièrement ses panoplies parfaites.
Elle faisait donjon sur donjon, et passait ses soirées à jouer. Mais
voilà, un jour, elle a perdu. C’était la première fois qu’elle perdait
au poker. Elle avait parié beaucoup. Tout, en fait. Elle n’avait gardé
qu’un millier de kamas. De quoi vivre un mois. Elle pensait se refaire,
retrouver sa fortune… Mais sa réputation en avait prit un coup. Alors
elle avait, en dernier recours, cherché un boulot. Et depuis, elle
était serveuse dans ce bar mal famé de Brâkmar, où des émeutes avaient
lieu presque tous les soirs. Elle passait son temps à observer ses
clients. Elle ne tarda pas à les classer en deux groupes : les
malheureux et les agresseurs. Les premiers venaient en général noyer
leur peine dans l’alcool. Elle n’avait pas tardé à remarquer que la
plupart étaient des Ecaflips, ayant comme elle perdu au jeu, ou bien de
jeunes démons en manque de rêves, qui pensaient que Brâkmar allait leur
offrir le pouvoir mais qui n’ont pas tardé à s’apercevoir qu’il leur
offrait surtout l’oppression. Les deuxièmes étaient, quant à eux, des
hauts niveaux, spécialement Iops ou Sadidas, qui venaient se provoquer
entre eux ou bien écraser les « malheureux ». Et l’alcool ne faisait
que les rendre plus agressifs. Et puis il y avait de rares clients, de
haut niveau eux aussi, mais qui, malgré leur alignement, défendaient la
veuve et l’orphelin. Il avaient un sens de l’honneur et de la dignité
qui se trouvait de moins en moins par les temps qui courraient… et
étaient pour la plupart Fecas, Eniripsas ou Enutrofs. Ou bien
Sacrieurs. Etrange comme les classes influaient sur la destinée.
Peut-être que si elle était née Sacrieur, sa vie serait différente.
Peut-être qu’à l’heure actuelle, elle combattrait. Peut-être qu’elle
aurait ce…
Le Feca s’agita dans ses bras. Lucy revint à la réalité
avec un pincement au cœur. Tout le monde la regardait étrangement. Elle
aida tant bien que mal le Feca à se relever. Un Eniripsa se proposa de
l’aider. Elle lui confia le jeune démon avec maints remerciements et se
remit à la tâche.
Le petit matin venu, elle s’accorda enfin un peu
de repos après avoir mit les derniers clients dehors. Elle allait enfin
pouvoir dormir, même si ce n’était que quelques heures. Elle vérifia
que tout était en ordre et prit la porte de service en s’étirant. Son
patron l’attendait. Un regard. Elle comprit.
Ma déesse, je vous
en supplie, faites que je trouve un autre emploi au plus vite, faites
que les jours heureux reviennent, faites que je quitte cet endroit…

Un fouet claqua. Une injonction.

* Artefact !

Le
tofu poussa un petit cri et se précipita sur le Dopeul. Un bouftou
jaillit alors sur sa droite, trop près pour qu’il puisse l’éviter. Un
tourbillon de plumes et le tofus n’était plus. Un claquement de langue
désapprobateur. Un claquement de fouet désinvocateur.

* A nous deux maintenant !

Coup
critique. Sourire. Echec critique. Grimace. De l’autre côté, le Dopeul
s’agita. Brièvement. Avant de rejoindre le royaume de l’au-delà. Shania
se demanda un instant si les Dopeuls avaient eux aussi un cimetière.
Puis, elle pensa à autre chose, sans transition, juste comme ça. Elle
sortit, distraite, du temple Osamodas. Il pleuvait dru. D’une griffe,
elle abattit une arakné qui se trouvait là, presque machinalement. Elle
s’étira. Que faire ? Elle laissa ses pas la guider vers le zaap le plus
proche et le configura afin qu’il la mène en Pandala. Là-bas, les siens
luttaient contre les anges pour aligner Feudala. Téléportée, elle étira
ses muscles endoloris. Le temps était brumeux et ici aussi, il
pleuvait. Elle essaya son visage trempé d’un revers de main et chercha
son chemin dans la grisaille. Elle se repéra facilement grâce aux
bruits des armes s’entrechoquant. Sans même prendre la peine d’analyser
la situation, elle invoqua quelques tofus, les boosta et les laissa
batailler alors qu’elle baillait d’ennui.
Toujours la même chose.
Des
cris retentirent soudain derrière elle. Elle se retourna vivement.
Autour d’elle, tous les guerriers s’interrompirent dans leur lutte. Des
aventuriers terrifiés déboulaient du pont menant à la presqu’île de
Grobe. Elle entendait des hurlements, mais ses oreilles sifflantes
l’empêchèrent de discerner ce qui se disait. Elle vit partout les
combattants lâcher leurs armes, atterrés. Il y eut un instant de
flottement, silencieux, hébété, puis une course effrénée. Tous
convergeaient vers une même direction : le zaap. Shania, elle, restait
là, plantée au milieu de la débâcle, essayant de comprendre quel
instinct avait ainsi mit en pause des années de guerres sanglantes.
Tout se passait comme au ralenti. Elle fut bousculée par un groupe de
démons aux visages figés par la terreur.

* Tsunami !

Et
là, soudain, l’image s’accéléra, elle perçut un reflux de sensations.
Retour à la réalité. Sans réflexion supplémentaire, elle se laissa
emporter par la marée humaine. Parvenue auprès du zaap, elle joua des
coudes. Oui, elle y était presque. Un choc. Un coup de coude qui la
cueillit au plexus solaire. Le souffle coupée, elle bascula. On la
piétina. Sa vue se brouilla. Et puis, les pieds s’écartèrent. Non loin,
un de ses frères paniqué avait invoqué un craqueleur en espérant
imposer l’ordre. Mais la créature, pressentant un danger imminent,
avait laissé son instinct de roc noyer des années d’apprivoisement.
Battant des poings sur sa pierre, il écrasait ceux qui osaient
l’approcher de ses pieds boueux. Plusieurs Osamodas tentèrent de le
détruire à coups de fouets. Cela rendit le craqueleur furieux.
Totalement incontrôlable, il attrapa dans ses énormes poings les
importuns et les jeta dans la mer en furie. Un sadida tenta de le
maîtriser. Il connut le même sort funeste. Tout à sa rage, le monstre
n’avait pas remarqué Shania. Elle avait roulé sur le ventre et rampait
désormais dans la boue, priant pour que le craqueleur ne la remarque
pas. Ses prières furent vaines. Au-dessus d’elle, un cri inhumain fit
courir un frisson glacé sur son dos. Le zaap était juste là, à quelques
mètres. La voyant, un Sacrieur tenta de faire diversion pour la sauver.
Mais la bête avait décidé de manger de l’Osamodas, en vengeance de ces
années d’esclavage. Elle se pencha doucement sur Shania, la scruta de
ses yeux énormes, tendit la main… Shania aussi tendit la main. Quelques
centimètres à peine la séparaient du monstre comme du zaap… Des doigts
frôlèrent leur but…

Il
pleuvait. Beaucoup. Quelques démons rôdaient dans les égouts de Bonta.
Ils échangeaient des regards furtifs. Pas un mot, pas un signe. Juste
des nuances à peine perceptibles dans leurs yeux sombres. Ils filaient
comme le vent, d’une démarche féline, parcourant de grandes distances
en peu de temps. Tout se passait comme prévu. Un jeune Sram passa sa
main sur la voûte de pierre. Il y eu un grincement. Ce n’était pas
prévu. Tous se figèrent, retinrent leur respiration. Un bruit de course
étouffé. Quelque chose, ou quelqu’un, venait. Les mains des Srams
glissèrent sur leurs fourreaux. Un bond. Un miaulement. Tasha retint un
juron.
Un stupide chacha.
Les démons s’écartèrent,
attendirent un instant afin d’être certains que le chat n’avait alerté
personne, puis reprirent leur chemin. Bientôt, un tintement leur
indiqua la sortie. Un par un, ils se glissèrent par la bouche d’égout.
Le temps jouait en leur faveur. Il étouffait les sons et gênait la
vision. Malgré ce, après un discret hochement de tête, ils disparurent
les uns après les autres. Là venait le passage le plus compliqué. Il
s’agissait de parvenir à la milice sans se faire repérer, mais surtout
en se repérant soi-même. Ils connaissaient mal Bonta et ne pouvaient
savoir où se trouvaient les autres. Cette mission, ils la préparaient
depuis près d’une année. Ils avaient répété chaque geste un millier de
fois, calquant leur pas sur celui des autres sans même les connaîtrent.
Enfin, cette nuit, ils allaient parvenir à leur but. Ce à quoi ils
avaient sacrifié leurs proches et leurs repères. Peut-être
mourraient-ils, mais il resteraient dans l’histoire.
Il y eu un
bruit sur la droite de Tasha. Sans doute était-ce un des siens. Ils
ignoraient tout les uns des autres, et avaient pour ordre de ne rien
échanger entre eux. Ils avaient apprit leur rôle séparément et savaient
donc qu’à la moindre erreur de leur part, ils pouvaient se faire tuer
par les leurs. A nouveau ce bruit sur la droite. Tasha glissa la main à
sa ceinture. Il était normal qu’il y ai quelqu’un là, mais cela faisait
deux fois que ce son se faisait entendre. Tasha hésita un instant.
Selon ses ordres, il fallait qu’elle élimine le fautif. Le châtiment
était sévère, mais juste. Mais Tasha n’aimait pas obéir. Elle doutait
que le tuer servirait à quelque chose. Cela risquait plutôt de poser
problème pour la suite. Un son étouffé. Elle tourna vivement la tête.
Prit un air déçu qu’elle seule pouvait deviner. Elle se concentra à
nouveau sur son objectif sans plus se soucier de sa droite, désormais
dégagée.

Dans la nuit, une lueur. Un cri étouffé. Un bruit de chute. Plus rien.
Un
souffle dans le néant. Une goutte de sang roula sur le sol de pierre
froide. Puis une larme. Un cailloux ricocha sur les murs. Tasha
apparut, un rictus de douleur déformait ses traits fins. Une plaie
béante barrait son abdomen telle la gueule de la mort. La Sram fit
courir ses doigts le long de sa blessure. Elle se mordit la lèvre. Tant
de souffrance. Elle avait été surprise par derrière par un autre de sa
race. Elle le maudit entre ses dents, sa langue sifflant pareille à
celle d’un serpent. Mais en réalité, elle se maudissait elle-même. De
n’avoir pas entendu une ombre glisser dans son dos. De n’avoir pas
saisit ses dagues assez vite. De n’avoir pas touché le cœur.
Elle eu
un sursaut de colère. Si longtemps qu’elle n’avait pas eu mal. Si
longtemps qu’elle n’avait pas pleuré. Elle se frappa la tête contre le
mur. Ses sens étaient tellement engourdis qu’elle sentit à peine le
choc. D’un revers de la main, elle essuya les larmes qui noyaient son
environnement dans un brouillard vacillant. Malgré ce, sa vue demeurait
voilée. Tasha cracha. Mais il y avait là plus de sang que de salive.
Peu à peu, elle sentait la vie s’échapper d’elle. Elle avait
l’impression que son âme même pulsait de douleur.
Il faut que… Je ne peux pas mourir ainsi. Je dois… me venger.
Tasha
appuya sa main contre le mur. Tenta de se relever. Glissa. Un flot de
larmes dévala ses joues sans qu’elle sache l’arrêter. Elle planta ses
dents si puissamment dans ses lèvres que sa chair se fendit. Ses veines
brûlaient de rage et de douleur. Il ne fallait pas qu’elle abandonne.
Il fallait qu’elle se relève, qu’elle vive. Non, pas qu’elle vive. Elle
se fichait de mourir, elle voulait juste sa revanche. Surtout que
personne ne le fasse pour elle. Ses ongles crissèrent sur la pierre.
Elle fut debout. Un instant. Vacilla. S’effondra. Une flaque rouge
s’écoulait lentement de son corps inconscient.